30 mars 2023

Interview du Général Jean LAURENTIN

Interview du Général Jean LAURENTIN

1. Que recommandez-vous à des jeunes diplômés souhaitant intégrer les armées ?

Engagez-vous ! Les armées et en particulier l’armée de Terre ont besoin de vous. Quels que soient vos diplômes et vos compétences, vous avez quelque chose à apporter à la défense et aux armées françaises et il y a une place pour vous. Osez l’engagement, vous ne le regretterez pas, c’est une aventure humaine exceptionnelle.

2. Que représente un aide de camp du Président de la République ?

Un aide de camp (ADC) est un officier des armées qui sert aux côtés du Président de la République (PR), chef des armées, dans sa vie publique et sa vie privée. Au service du Président et intégré dans son équipe proche (équipe en charge de toutes ses activités), l’ADC participe à la planification, à la préparation, à la conduite et aux enseignements de toutes les activités du PR, à l’Elysée, en France et à l’étranger. L’ADC veille à la mise à disposition du PR des moyens militaires nécessaires à ses fonctions (avions, hélicoptères, transmissions sécurisées …). Il porte les dossiers du PR et est également en charge du cérémonial militaire en dehors de l’Elysée. Enfin, c’est un maillon important dans la dissuasion nucléaire et le signe visible des pouvoirs du PR dans ce domaine.

3. Comment êtes-vous devenu aide de camp du PR ?

Le PR dispose de 3 ADC représentant les 3 armées, Air, Marine et Terre, qui sont en poste pour 3 ans. La sélection se déroule d’abord au sein de chaque armée puis à l’Elysée, au sein de l’Etat-major Particulier (EMP) du PR et de son cabinet. Enfin, c’est le PR qui choisit l’ADC à la fin du processus de sélection. J’ai été identifié par l’armée de Terre fin 2008 avec plusieurs camarades. Après plusieurs mois d’entretiens avec les ADC, puis avec les officiers de l’EMP et les membres du cabinet, j’ai été retenu en juin 2009 et formellement désigné par le Président SARKOZY en août 2009.

4. Que retirez-vous de cette expérience ?

C’est un très grand honneur de servir le chef des armées et également une très lourde responsabilité. La disponibilité est totale, l’engagement permanent et les exigences très élevées. C’est une chance extraordinaire de servir dans le premier cercle du PR, de comprendre le fonctionnement de l’Etat au sommet et d’être le témoin au jour le jour de l’histoire de France et du monde qui s’écrit.

I. PARCOURS DU GÉNÉRAL LAURENTIN

5. Comment êtes-vous passé d’un poste à l’EMA à un poste d’adjoint d’une division de l’armée de Terre britannique ?

J’ai servi à l’état-major des armées (EMA) de 2019 à 2021 comme officier en charge des relations avec le Parlement pour le chef d’état-major des armées. Mission passionnante au contact des députés et sénateurs, en particulier ceux des commissions de défense. Mission de liaison entre deux mondes, politique et militaire, qui travaillent main dans la main pour assurer à la France une défense forte, moderne, cohérente et crédible.

Depuis le Royaume-Uni, je suis moins au contact de la jeunesse française que lors de mes affectations précédentes. Je suis néanmoins persuadé que chaque militaire est un recruteur et qu’il doit, là où il se trouve, transmettre sa passion à ceux qui l’entourent et à ceux qu’il rencontre, témoigner des réalités de son métier et encourager les plus jeunes à s’engager.

En 2017 et 2018, j’ai eu l’honneur de commander le Pôle rayonnement de l’armée de Terre (PRAT) à Paris et d’être au contact, à Paris et en province, de très nombreux jeunes, de tous les milieux, intéressés par la défense et par l’armée de Terre. Je retiens de cette expérience la nécessité de « parler vrai », d‘encourager toutes les vocations et d’orienter les jeunes vers les centres de recrutement pour qu’ils aient des réponses précises à leurs légitimes interrogations et qu’ils trouvent leur voie au sein de notre belle institution.

6. Comment communiquez-vous pour attirer les jeunes vers les métiers de l’armée ?

II. FONCTION ACTUELLE

  1. Depuis 2021, vous êtes l’adjoint de la 1ére division. Pouvez-vous nous parler de la coopération militaire franco-britannique, en particulier depuis les traités de Lancaster House de 2010 (vous étiez à l’époque ADC du PR) ?

Depuis l’été 2021, je sers effectivement comme officier d’échange au sein de l’Army, en tant que général adjoint de la 1UKDIV tandis qu’un général britannique sert comme adjoint de la 1e division française à Besançon. Je suis le 3e général français à servir à York, le premier étant arrivé en 2016.

Cet échange exceptionnel entre nos deux pays est le fruit des accords de Lancaster House, signés par le Président et le Premier ministre en 2010 (j’étais à l’époque ADC du PR et étais présent lors de la signature).

Les accords pour l’armée de Terre ont entre autres permis la mise en œuvre de la Combined Joint Expeditionnary Force CJEF, dont les deux 1ères divisions française et britannique sont parties prenantes.

La coopération militaire entre nos deux pays, en particulier au niveau terrestre, est historique (depuis l’Entente cordiale de 1904, pendant les deux conflits mondiaux et la guerre froide…) et est toujours restée très forte depuis la chute du mur de Berlin, avec des engagements sur tous les théâtres de crise depuis les années 80s. Nous sommes des frères d’arme, avec les mêmes valeurs, la même expérience opérationnelle et la même combativité (fighting spirit et esprit guerrier). Je peux témoigner à mon niveau de la confiance totale qui m’est accordée par les autorités militaires britanniques et des responsabilités qui me sont confiées, égales à celles d’un général britannique.

En 2021, du fait de mon parcours outre-mer et à l’étranger (je suis un officier des parachutistes d’infanterie de Marine) et de mes nombreux passages au Royaume-Uni (ma première expérience remonte à 1993 lorsque officier élève à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr, j’ai effectué une immersion d’un mois dans un régiment de l’armée de Terre britannique, l’Army, comme adjoint du chef de section), j’ai été choisi par l’armée de Terre pour servir au sein de, l’Army, comme général adjoint de la 1e division britannique (1UKDIV) à York.

Davantage qu’une journée type, je vous propose une semaine type pour vous permettre de mieux comprendre le Battle Rhythm de la 1UKDIV. En tant qu’adjoint, mon agenda est calqué sur celui de mon chef, le GOC General Officer Commanding, pour me permettre d’avoir le même niveau de connaissance que lui et le seconder le plus efficacement possible.

Le lundi est une journée de réunions et points de situation à trois niveaux distincts, celui de l’état-major d’abord puis celui de la division et enfin celui des forces terrestres. Ces rendez-vous importants ont pour objet de rendre compte au général commandant la division des activités en cours et à venir et de lui permettre de participer à la réunion de commandement des forces terrestres (Field Army). Pour mémoire, l’Army est organisée en 3 divisions, la 1, la 3 et la 6).

Les mardis, mercredis et jeudis sont des journées de déplacements, visites et inspections des unités de la division et des exercices en cours, au Royaume-Uni et à l’étranger. La division compte à ce jour 8 brigades et 98 régiments et bataillons (d’active et de réserve), répartis partout au Royaume-Uni et déployés partout dans le monde. Ces visites permettent entre autres de contrôler la préparation opérationnelle des forces et la bonne application au sein de chaque unité des directives du commandant de division et de l’Army.

Le vendredi permet de faire le bilan de la semaine écoulée, de rendre compte à l’échelon supérieur et de préparer les semaines et mois à venir.

4. A quoi ressemble une de vos journées types ?

Servant à York au sein d’une division, je peux vous apporter un éclairage sur la coopération militaire entre les deux forces terrestres. Tout d’abord, les 1ères divisions française et britannique sont binômées et travaillent ensemble pour mettre en oeuvre la CJEF. A ce titre, elles s’entrainent en commun dès que c’est possible, au Royaume-Uni ou en France et saisissent toutes les opportunités pour renforcer leur interopérabilité (technique, doctrinale et culturelle). Mes échanges avec mon camarade britannique adjoint à Besançon sont hebdomadaires et chaque division renforce l’état-major de l’autre lors des exercices majeurs.

De plus, des brigades et régiments de nos deux armées sont également binomés dans le cadre des Bonds of Friendship, cela signifie qu’ils ont des échanges directs entre unités.

Egalement, nos deux armées sont des acteurs majeurs dans les organisations internationales, en particulier l’ONU et l’OTAN. Les Britanniques comme pour les Français, ont un rôle moteur de nation cadre au sein de l’OTAN.

Enfin, sur le plan opérationnel, nos deux armées sont le plus souvent déployées sur les mêmes théâtres, que ce soit en Afrique, au Moyen-Orient ou en Europe.

3. Comment se matérialise la coopération entre les deux pays (armées de Terre) ?

Je suis en poste pour 2 ans, je pense donc être relevé à l’été 2023.

2. Savez-vous combien de temps vous allez rester à ce poste ?

5. Le Brexit a-t-il affecté la coopération militaire franco-britannique ?

A mon niveau et ce depuis l’été 2021, je peux témoigner de la permanence et de l’excellence de la coopération entre nos deux forces terrestres, quelle que soit la situation politique de part et d’autre de la Manche. Sur le plan personnel, la mise en place de ma famille à York a certainement été plus compliquée du fait du BREXIT mais sur le plan militaire je n’ai pas constaté de limitations ou de diminution des activités entre nos deux armées.

6. En octobre 2021, certains médias français parlaient d’une zone de turbulence sur le plan de la coopération militaire franco-britannique. Les deux pays ne parvenaient pas à s’accorder sur la suite du programme de missiles antinavires et de croisières qu’ils avaient prévu de développer en commun. Comment avez-vous vécu cette période peu de temps après votre prise de poste ?

A cette époque, la division préparait son exercice majeur, RHINO-CHARGE 21 avec des phases de montée en puissance progressive vers l’exercice qui s’est déroulé pendant trois semaines à partir de fin novembre 2021. Je peux vous dire que s’il y a eu des « turbulences » entre nos deux pays, elles n’ont eu aucun impact pour moi à York. J’ai poursuivi mes travaux pour être prêt pour RHINO CHARGE 21 et pendant l’exercice j’ai pu pour la première fois prendre le commandement de la division pendant que le GOC était déployé en Afrique avec le PC tactique, une vraie marque de confiance !

7. Vos missions ont-elles été affectées par le décès de la Reine d’Angleterre ?

Le décès de la Reine Elisabeth II le 8 septembre 2022 a profondément marqué le peuple britannique et eu un retentissement dans tout le Commonwealth et le monde entier. C’est une page d’histoire qui se tourne pour le Royaume-Uni mais pas seulement.

Au Royaume-Uni, le monarque est chef des armées, les armées britanniques ont donc été bouleversées, tout comme l’ensemble du pays et totalement impliquées dans les cérémonies liées au décès de la Reine.

A cette époque, je commandais la division depuis mi-juin 2022 suite à la mutation vers de plus hautes responsabilités du GOC et le futur GOC n’a pris son commandement qu’à partir du 20 septembre 22. J’ai donc commandé pleinement la division pendant 3 mois.

Le 8 septembre et les jours qui ont suivi, jusqu’aux funérailles le 19 septembre, la division a participé à l’opération BRIDGE (funérailles) tout en poursuivant toutes ses activités d’entrainement et opérationnelles, au Royaume-Uni et à l‘étranger.

8. Vous avez pris part à la réalisation des cérémonies d’hommages à la Reine pouvez-vous nous expliquer quel a été votre rôle en tant qu’officier français ?

A York, en tant que GOC, j’ai présidé la cérémonie d’annonce du décès de la Reine le 9/09 (96 coups de canons) puis celle de la proclamation du Roi Charles III le 10/09 (21 coups de canons) et enfin j’ai participé avec les autorités locales civiles et religieuses à la messe d’hommage à la Reine dans la cathédrale (Minster) de York le 18/09/22.

Le format d’abord, l’armée de Terre française est plus nombreuse que l’Army, avec une force opérationnelle terrestre à 80 000 en France et une Army à 73 000 ; les équipements ensuite, l’armée de Terre française est engagée depuis plusieurs années dans le programme SCORPION qui assure sa modernisation à l’horizon 2030, côté britannique il n’y a pas l’équivalent même si la modernisation est également engagée (projet WAVELL) ; les ressources humaines enfin, les sous-officiers et officiers britanniques sont proportionnellement davantage sous contrat, donc avec des carrières plus courtes et une apparente facilité pour basculer dans la vie civile, tandis qu’une partie des sous-officiers et officiers français sont de carrière et restent donc plus longtemps en service.

9. Pouvez-vous nous parler des objectifs à horizon 2030 pour la coopération militaire entre la France et le Royaume-Uni ?

Servant au sein d’une division, je peux vous parler de la planification de la division. La défense britannique et en particulier l’Army sont engagées dans une transformation majeure avec l’Integrated Review et le plan Future Soldier de 2021. Depuis février 2022 et la guerre en Ukraine, l’Army accélère cette transformation pour faire face aux défis posés par la guerre en Ukraine et ses conséquences en Europe. Le ministère de la défense britannique devrait d’ailleurs annoncer au printemps une actualisation de l’Integrated Review.

Pour ce qui concerne les activités prévues entre les deux 1es divisions française et britannique, pas de changement, chaque division planifie de participer à l’exercice majeur de l’autre.

10. Vu de York et de la 1e division, quelles sont les principales différences entre les armées de Terre françaises et britanniques ?

Depuis mon arrivée à York, je suis davantage marqué par ce que nous avons en commun que par ce qui nous différencie, comme je vous l’ai dit, nous sommes des frères d’armes, engagés sur les mêmes théâtres d’opération avec des savoir-faire et des procédures qui sont très proches.

Si je devais souligner des différences entre nos deux armées de Terre, j’en évoquerai 3 :

11. Pouvez-vous nous parler du fonctionnement de la réserve militaire britannique, par rapport à la réserve militaire française ?

La composante « réserve » comprend 30 000 militaires et constitue un pilier majeur de l’Army. Contrairement à l’armée de Terre française, l’Army a fait le choix de conserver les structures régimentaires ou bataillonnaires et a même décidé l’été dernier de créer une brigade de réserve (la 19ème brigade d’infanterie qui appartient à la 1UKDIV). Il n’y a pas d’équivalent en France puisque nous avons un seul régiment de réserve et des unités (compagnie ou escadrons) de réserve au sein de nos régiments d’active.

A titre individuel, chaque réserviste fait en moyenne 27 jours de réserve par an. Comme en France, les réservistes sont indispensables au bon fonctionnement de l’Army, tant sur le territoire national qu’en opération extérieure.